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La mort du major Otenin (Tableau de Fournier Sarlovèze)

Décembre 1813. Les coalisés franchissent le Rhin. Bientôt, par la vallée de la Marne et la vallée de la Seine, ils menacent Paris. Napoléon a beau retrouver le génie militaire de Bonaparte, l’avance de Schwarzenberg et de Blücher est inexorable. L’Empereur s’inquiète: Envoyez à Compiègne un bataillon de la Garde (…) avec deux pièces de canon pour défendre le palais et la ville contre des partis ennemis, ordonne-t-il le 9 février 1814. L’argenterie et tout ce qui pourrait être trophée doivent être enlevés. Le major Ote­nin (nous dirions aujourd’hui lieutenant-colonel) est chargé de cette mission. Ce vétéran -blessé à de multiples reprises, n’aspire pourtant qu’à la retraite et au mariage depuis le désastre de Russie. Mais c’est un homme de devoir et il brave les difficultés.

Première difficulté : le manque d’hommes. Ceux dont il dispose sont peu aguerris, mal  équipés, et n’ont chacun qu’une poignée de cartouches. Deuxième  difficulté: la ville est démantelée par endroit et donc vulnérable. L’avenue des Beaux Monts offre un axe de pénétration large de 40 mètres : une aubaine pour l’ennemi.
Otenin opte pour une défense mobile du palais, combinant infanterie et artillerie. Il dispose sur les terrasses quatre canons et deux couleuvrines du XVII siècle. Ses dispositions font merveille.

Le 1 avril. L’ennemi entre dans le petit parc. Deux compagnies de chasseurs et un détachement de fusiliers prussiens marchent de front, drapeau déployé, tambour battant, poussant des hourras. Après deux vaines tentatives, c’est la Jeune Garde qui raccompagne les troupes du général von Krafft, baïonnette dans les reins. Partout ailleurs l’ennemi renonce, malgré la disproportion des forces. Avec 1 200 hommes et six canons, le major a tenu en respect les 28 canons et les 8 000 hommes du général von Bülow. Omniprésent, Otenin part en inspection du côté de la Porte-Chapelle. Il tombe, terrassé, alors qu’il apprend à un jeune conscrit à se servir de son arme. Lorsqu’il meurt le 2 avril, il sait qu’il a accompli sa mission, à un contre sept.

Otenin mort, son successeur et la municipalité ne songent qu’à une capitulation honorable. Le jusqu’au-boutisme du major leur paraît hors de saison : à l’heure du combat de Compiègne, Paris s’est déjà rendu et Napoléon s’apprête à abdiquer. D’ailleurs la défense de la ville et du palais n’a qu’une importance secondaire. Il n’y a donc pas foule pour suivre le convoi funèbre du « commandant  d’armes de Compiègne ».

N’a-t-il pas exposé bien légèrement la ville à des représailles aussi cruelles que celles subies par Venette le 29 mars ? Ce jour-là, soixante maisons ont été brûlées et trente-quatre habitants ont péri. La population, lasse d’héroïsme, n’aspire plus qu’à la paix. Quant au maire, M. de Lancry, il est représentatif des élites du pays. Ancien mousquetaire du roi, rallié un temps à l’usurpateur comme à un pis-aller, il ne demande qu’à rendre hommage au souverain légitime. Le sous-préfet Dalmas, lui, a décampé le 3 mars ; et son successeur Robinet le 30, avec soixante gendarmes qui ont fait défaut à Otenin.

Oublié aussitôt qu’enterré, le major prend figure de héros sous le Second Empire. En 1858, on donne son nom à une rue. C’est que l’heure est de nouveau au bonapartisme. Pour autant, la IIIe République ne le renie pas. La Revanche est reine de France et le major offre aux Compiégnois un modèle de patriotisme pour cours d’instruction civique. En 1907, Fournier-Sarlovèze père peint la mort d’Otenin touché au cœur dans une pose d’image d’Epinal. Dans un raccourci saisissant, il montre le soldat mort en héros pour la France face aux Prussiens, qui s’écroule devant la statue de Philoctète blessé. Le sacrifice d’Otenin est digne de ces exempta, que célébraient les anciens, et qui servent toujours à l’époque de modèles de civisme aux lycéens qui font leurs « humanités ». Une statue est dressée en son honneur en juillet 1914. Otenin le Lorrain, importun à sa mort, a désormais rejoint outre-tombe le panthéon des Compiégnois, aux côtés de Jehanne la bonne Lorraine.

Texte d’Eric Georgin, vice président de la SHC, tiré de l’ouvrage “Mémoire de Compiègne” J. Marseille éditeur

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