L’abbaye Saint-Corneille reste au cœur de l’histoire de Compiègne du IXe siècle à la Révolution. Fondée dans les années 860, par l’empereur Charles le Chauve, sous le vocable de collégiale Sainte-Marie, elle demeure le pivot de l’histoire religieuse de Compiègne.
A l’extrême fin du IXe siècle, Compiègne souffre des invasions normandes qui contraignent Charles le Simple à d’importantes reconstructions en 917. Dès le Xe siècle, rénovée, la collégiale prend le nom de saint Corneille, pape martyrisé en 253, dont elle conserve les reliques. Ces dernières, dues à la munificence de l’empereur Charles : Saint Suaire, voile de la Vierge, reliques de saint Corneille et de saint Cyprien, évêque de Carthage au IIIe siècle, font la réputation et la richesse de l’abbaye. Hélas, l’empereur d’Allemagne, Othon II, ravage Compiègne en octobre 978 et de nouvelles restaurations s’ensuivent.
Plusieurs rois de France y sont sacrés : Louis II le Bègue (877), Eude (888), Louis V (979) et Hugues II (1017) ; certains y eurent leur tombeau : Louis II le Bègue (879), Louis V (987) et Hugues II (1025), refait par saint Louis en 1267, enfin le dauphin Jean de Touraine, duc de Berry (1417). De fait, tous les rois viennent séjourner à Compiègne et comblent d’attentions la vénérable abbaye : la reine Constance, épouse de Robert le Pieux, offre un vaste domaine à Verberie ; Mathilde d’Angleterre une nouvelle châsse d’or pour le Saint Suaire ; Louis VI y reçoit le pape Innocent II ; Philippe Auguste y arme chevalier son propre fils, le futur Louis VIII ; saint Louis, qui vient très souvent à Compiègne, y célèbre le mariage de son frère Robert d’Artois dans un déploiement de faste grandiose en 1238. Il offre à l’abbaye la statue de la “Vierge au pied d’argent”
Certains chanoines acquièrent une grande réputation, ainsi Roscelin, qu’on dit être le maître d’Abélard, le plus fameux théologien de son temps, réside à Compiègne au début du XIIe siècle. Cependant, Louis VI et son ministre Suger, abbé de Saint-Denis et légat du pape, décident en 1150 de remplacer le collège des chanoines par des moines bénédictins. Ce changement toutefois n’alla pas sans lutte contre les anciens clercs ainsi expulsés, accusés de mener une vie scandaleuse. Suger écrit même qu’il faut remplacer le camp du Diable par celui de Dieu. Or le trésorier des chanoines n’était autre que Philippe, le propre frère du roi. Il mène la révolte, envahit l’église avec ses partisans et s’y enferme. Seule l’intervention des Compiégnois permet de voir obéi la volonté du roi. Celui-ci les récompense en leur octroyant une charte de commune en 1153. Les Bénédictins font prospérer l’abbaye qui dépend directement du pape et non de l’évêque de Soissons. Les abbés sont issus des meilleures familles et deviennent souvent évêque, archevêque ou même cardinal. En 1350, le futur cardinal Pierre d’Ailly naît à l’ombre des murs de l’abbaye.
En 1483, l’abbaye tombe en commende, ses abbés ne sont plus élus par la communauté, mais désignés par le roi. Cependant, ils appartiennent toujours à la plus haute noblesse, tel le cardinal Louis de Bourbon, évêque de Laon, qui entreprend de reconstruire la nef et la façade sans pouvoir achever l’entreprise, ou encore Jacques Amyot, évêque d’Auxerre et célèbre helléniste. Elle connaît un indéniable renouveau intellectuel lors de l’installation des Bénédictins de Saint-Maur en 1626. Issus d’une importante réforme de l’ordre bénédictin, au début du XVIIe siècle, les Mauristes sont à l’origine de progrès essentiels pour les sciences historiques et fondent une tradition d’érudition encore vivante aujourd’hui : Dom Bertheau, Dom Gillesson étudient les archives de l’abbaye et en rédigent l’histoire. Le dernier abbé, Simon Legras, en même temps évêque de Soissons, sacre Louis XIV en 1654, en l’absence de l’archevêque de Reims.
Toutefois, à la mort de Legras, Saint-Corneille tombe sous la coupe de l’abbaye du Val-de-Grâce en 1656. Le roi préfère en effet, à la demande de sa mère Anne d’Autriche, attribuer le bénéfice de la commende non à une personne physique en la désignant comme abbé de la communauté des moines compiégnois, mais à une autre abbaye, en l’occurrence celle des Dames du Val-de-Grâce. Ainsi une partie non négligeable des revenus de Saint-Corneille sont employés à l’achèvement de la splendide abbaye parisienne commencée en 1645 mais achevée seulement en 1667. Les relations entre les religieuses et les moines ne seront d’ailleurs pas toujours sans nuage….
Désormais, sans abbé, les prérogatives séculaires de l’abbaye sont peu à peu battues en brèche par les évêques de Soissons. Son prestige, cependant, reste intact et elle prend en charge le Collège de Compiègne à partir de 1772, dix ans après l’expulsion des Jésuites de France sur ordre de Louis XV. La Révolution lui est fatale : la communauté, alors dirigée par le prieur Dom de Vaines, est dissoute en 1790. L’église abbatiale devient simplement paroissiale avant d’être destinée à la vente en 1791. Elle est alors profanée, pillée, ses ornements détruits, les tombeaux violés, le cercueil de plomb du dauphin Jean récupéré pour son poids de métal, le trésor dispersé et les châsses d’or et d’argent fondues, ses biens vendus à l’encan. Seule une part des reliques est sauvée et trouve refuge à Saint-Jacques, la bibliothèque au château avant d’être partiellement emportée à Paris sur ordre de Napoléon. L’usage de l’édifice est concédé à l’armée ; l’église devient fabrique de salpêtre en 1794, magasin à fourrage en 1804. Elle perd les flèches de ses deux clochers.
L’année 1806 scelle le destin du vénérable sanctuaire. Cédée à la Ville par le ministère de la Guerre, Saint-Corneille est démolie afin de percer la rue qui porte encore aujourd’hui son nom. L’opération se révélant coûteuse, elle est interrompue en 1811 avec l’espoir de conserver les bas-côtés et les tribunes à l’ouest des clochers en les transformant en boutiques. Las, n’ayant plus de nef centrale sur laquelle s’appuyer, les parties subsistantes menacent rapidement ruine. La démolition n’est cependant complète qu’en 1824, date à laquelle l’entrepreneur Biscuit construit des immeubles neufs, pour certains toujours debout, à leur emplacement. Les bâtiments abbatiaux sont transformés en manutention militaire, ce qu’ils restèrent avant qu’en 1940, ils ne brûlent comme une partie du centre ville.
Dans les années 1950, la municipalité décide d’installer dans les vestiges de l’abbaye la bibliothèque municipale, fondée en 1806 et logée jusqu’alors dans l’hôtel-de-ville (avec une annexe à l’Hôtel-Dieu). Elle confie le projet à l’architecte en chef des monuments historiques, Jean-Pierre Paquet, qui rase le bâtiment longeant la galerie sud du cloître pour construire la bibliothèque. L’édifice est surélevé par rapport à la rue car il a conservé le cellier historique, dont la voûte en plein cintre affleure ; il tourne le dos au cloître, avec lequel il n’a de lien qu’un passage de service, et fait face à la place du Change avec un accès par un perron central à double volée de marche. La destination bibliothéconomique du bâtiment explique la disposition de ses fenestrages, comportant en bas où étaient le public et le personnel de grandes baies et dans les niveaux supérieurs d’étroites meurtrières, ces niveaux ne servant qu’aux réserves de livres.
Jean-Pierre Paquet utilise des parements de pierre qui permettent une continuité avec les murs du cloître, alliant ainsi l’adaptation de la forme à l’usage et l’inscription urbanistique harmonieuse, dans une réalisation qui sera saluée lors de son inauguration en 1959.
En 2003 la municipalité décide d’agrandir la bibliothèque, en y rattachant le cloître d’une part et le cellier d’autre part. Le projet s’accompagne d’une rénovation complète du bâtiment de Paquet, comportant notamment le déplacement de l’entrée sur la façade orientale, par une grande verrière monumentale. Le cloître a été restauré et restitué dans ses ornements et sa polychromie XIVe, le cellier rénové et transformé en salle de conservation et de consultation de la Réserve Précieuse. La bibliothèque Saint-Corneille nouvelle a été inaugurée le 15 décembre 2007, et la dernière partie du cloître sera achevée au début de l’année 2011.
Texte d’Eric Blanchegorge et Juliette Lenoir
Pour en savoir plus,vous pouvez consulter ou acheter l’ouvrage suivant
– “Bulletin n° 39-Histoire de l’abbaye Saint Corneille de Compiègne“, 2008, 493 pages