Skip to content Skip to footer

Cette élégante statue de pierre, conservée depuis 1896 au musée Antoine Vivenel, mesure environ 1,50 m. Seules quelques traces subsistent de la peinture qui la couvrait tout entière ou du moins plus largement avant le décapage, hélas trop radical, intervenue en 1936. L’extrémité du pied droit cependant est en bois, parsemé de clous et, du pied gauche ne subsiste qu’une amorce d’enveloppe en métal. L’avant bras droit de la Vierge manque ainsi que la main gauche de l’Enfant. La statue porte la trace d’un vandalisme qu’on soupçonne révolutionnaire : l’agrafe et une partie du corsage témoignent d’une forte reprise du haut du buste, aujourd’hui trop grêle ; par ailleurs, les deux têtes ont été cassées et recollées. Enfin, les fleurons de la couronne sont perdus. Cette statue se trouvait dans la chapelle Saint-Nicolas de l’Hôtel-Dieu depuis une date indéterminée jusqu’à la réunion de la vénérable institution à l’Hôpital général en 1896. Jean Legendre, après la Seconde Guerre mondiale, la fit placer dans le transept de Saint-Jacques où, depuis 1986, elle est remplacée par un moulage.

La vierge au pied d’argent (Musée Antoine Vivenel -Compiègne)

En 1267, les restes mortels des rois Louis II (879), Louis V (987) et d’Hugues, fils de Robert le Pieux (1025), inhumés dans l’abbatiale Saint-Corneille sont transférés solennellement au droit du maître-autel en présence du roi, saint Louis qui tout au long de son règne ne manqua jamais de favoriser Compiègne. Leurs “gisants” de bois peints, brûlés à la Révolution, sont d’évidence taillés à cette occasion ; ils étaient allongés sur les tombeaux. Il y avait aussi les statues du fondateur Charles le Chauve ainsi que de Louis VII qui imposa les Bénédictins en 1150 et de Jean de France, quatrième fils de Charles VI. Elles sont décrites  ainsi dans Description des reliques et des monuments remarquables qui sont dans l’église de l’abbaye royale Saint-Corneille de Compiègne paru en 1770 : “En deça du sanctuaire, dans les fausses arcades qui font de niveau avec la galerie, à droite et à gauche, on remarque six statues de rois, revêtus de longues robes, peintes en rouge, avec des manteaux bleus semés de fleurs de lys, le sceptre en main, la couronne sur la tête”. Certaines pourraient avoir été en pierre et reconnues (?) dans les souterrains de Saint-Corneille (?) par un érudit compiégnois en 1842, Lambert de Ballyhier. On estime probable que cette statue de Vierge ait été sculptée à la même date pour être offerte à l’abbatiale ainsi rénovée et veillée sur les dépouilles royales.

De fait, elle est également décrite dans ce même ouvrage pieux : “A droite en entrant se voit la chapelle de la Sainte Vierge, appelée anciennement Notre-Dame du Treillis, appuyée contre le jubé. On y remarque une statue de la Sainte Vierge, tenant l’Enfant Jésus dans ses bras ; elle a les mains et les pieds d’argent ; ce qui fait qu’on la nomme plus autrement que la Vierge au pied d’argent. Tout le monde de Compiègne et des environs a une singulière dévotion à cette Image qui est ancienne ; elle est généralement regardée dans le pays comme miraculeuse. On croit communément que son pied a été revêtu d’argent, parce que le peuple qui va très fréquemment le baiser, en détachoit avec des couteaux quelques parties qu’il regardoit comme des reliques. Pendant le séjour de 1683, on vola à cette Vierge un collier d’argent, de la valeur de 50 écus. M. le marquis de Sourche, Grand Prévot de l’Hôtel, fit faire beaucoup de perquisitions inutiles. Le Roi ordonna d’en remettre le prix aux religieux. Nous apprenons des archives de cette maison que Monseigneur le Grand Dauphin, fils de Louis XIV, étant attaqué au mois d’août de l’année 1669 d’une fièvre continue, vint faire la prière devant l’Image de Notre-Dame du pied d’argent, le samedi dans l’octave de l’Assomption, et qu’il vit faire une neuvaine ; la fièvre le quitta si subitement que sa guérison fut attribuée à cette pieuse dévotion. Cet auguste enfant se promena ensuite dans le monastère, fit la collation qu’on lui avoit préparée dans la galerie qui est au fond du jardin et prit le divertissement de la chasse de quelque gibier que l’on y avoit jeté exprès pour son amusement. En 1650 ou 51, le Roi lui-même avoit fait le même honneur à l’abbaye Saint-Corneille. Sa Majesté après avoir reçu la sainte communion le lundi de Pentecôte dans cette église, entra dans le chapitre des religieux, y déjeuna avec Monsieur (Philippe de France) et se promena dans le cloître jusqu’à la grand messe à laquelle il assista”.

Il semble que cet autel ait été fondé par Jean l’Ecrivain en 1359 pour la somme de 500 florins d’or, sinon déjà en 1350. La statue est longtemps dénommée Notre-Dame du Treillis en raison de la grille qui la protégeait d’une vénération trop assidue. En 1610, lorsque Saint-Pierre des Minimes est concédée par Saint-Corneille aux Minimes, l’abbaye conserve le matériel de culte indiquant l’affecter à cet autel. Dans le dernier tiers du XVIIe siècle, la grille semble avoir été ôtée et peut-être n’est-ce qu’alors que des pieds d’argent furent adjoints à la statue. La coutume voulait qu’elle fut parée aux jours de fêtes d'”une couronne d’argent pesant [un blanc] que l’on met aux grandes fêtes sur la tête de la Vierge au pied d’argent…” conservée au trésor de l’abbaye, qui rejoint le dépôt révolutionnaire en octobre 1791. Elle dut être envoyée à la fonte avec les autres objets de métal précieux recueillis à Saint-Jacques en octobre 1792.

La Révolution la brise sans doute mais ne la détruit pas lors de la sécularisation de l’abbaye en 1790. L’église devient prison pour les prisonniers de guerre en 1792, salpêtrerie en 1793 puis magasin à fourrage. Réparée, sauvée, la pauvre Vierge rejoint on ne sait quand, peut-être seulement au moment de la démolition de l’église abbatiale, soit à partir de 1806, la chapelle Saint-Nicolas où Léré la décrit sans la reconnaître, sans doute sous la Restauration : « A côté du pilier est une sainte Vierge ayant dans son bras gauche l’enfant Jésus de 4 pieds 6 pouces de haut sans y compris le piédestal. Elle a une robe de soye, un voile de dentelle ainsi que l’enfant Jésus, un bouquet de fausses fleurs à la main [est ce la Vierge ou l’enfant qui porte les fleurs ? car aujourd’hui cette vierge n’a plus de main…] Elle est en pierre, le pied est en argent ».

Cette œuvre témoigne de l’essor du culte marial au Moyen Âge qui entraîne un renouvellement de l’inspiration des sculpteurs, préférant l’image d’une jeune femme souriante et tenant haut un enfant désormais tourné vers elle. Cependant, il ne saurait être question de simple joliesse ; l’image de la Vierge et du Sauveur invite le Chrétien à méditer les mystères de l’Incarnation et de la Rédemption. En cela, l’expression Vierge à l’Enfant n’est guère exacte qui suggère que l’Enfant est un attribut de la Vierge comme le lys ou la pomme. La Vierge peut paraître plus “humaine” elle n’en reste pas moins couronnée, reine du Ciel.

Sa date ne saurait être qu’approximative. Seules dix statues gothiques sont datées à l’année près en France par un texte ou une inscription et la nôtre n’échappe pas à l’anonymat général. Elle s’inscrit dans le mouvement qui, dès les années 1240, renouvelle les formules du début du XIIIe siècle, soit l’abandon d’une perspective monumentale au profit d’une perspective narrative. La sculpture devient indépendante de l’architecture et se rapproche de la réalité par une recherche des effets d’ombres et de lumières, d’un certain mouvement parallèle à un allongement du canon. Le drapé se libère du corps et retrouve son poids, le visage s’illumine d’un sourire plein de tendresse. Malgré son médiocre état de conservation, la statue appartient au courant stylistique qu’incarne la Vierge d’ivoire de la Sainte-Chapelle et relève donc des productions d’Île-de-France dont l’influence domine le sud de l’actuel département de l’Oise et au-delà.
Elle a été rapprochée notamment de la Vierge de Warvignies, ou d’Abbeville (Louvre), du derniers tiers du XIIIe siècle, gracieuse et souriante, dont le visage offre quelque ressemblance, de même que les plis en poche de la robe sur la poitrine. On pense également à la statuette d’ivoire du musée de Cincinnati provenant d’un reliquaire de l’abbaye Saint-Denis. La Vierge de Compiègne offre quelques analogies avec la Vierge du croisillon nord de Notre-Dame de Paris (vers 1250), vierge de trumeau, comme la Vierge dorée d’Amiens (vers 1260), mais rappelle plutôt la Vierge de la façade occidentale de la cathédrale de Reims. Au vrai, ces influences ne reflètent que son appartenance à un courant et non une quelconque dépendance. Le point commun de ces œuvres est un hanchement qu’accentue une longue chute de plis verticaux formée par un manteau ramené sous le bras gauche, celui qui porte l’Enfant, et par le jeu, à droite, de profonds plis à bec, cassés et disposés en ondes concentriques. Ce drapé est à Compiègne assez heurté et d’un rythme plus vigoureux qu’à l’ordinaire ce qui met la Vierge au pied d’argent un peu à part, pareille à celle que chante Gautier de Coincy dans ses Miracles de Notre-Dame, célébrant Marie comme “la fleur de lys, la fresche rose ou toute courtoisie est enclose”.

Texte d’Eric Blanchegorge

SOCIÉTÉ HISTORIQUE DE COMPIÈGNE © 2024. TOUS DROITS RÉSERVÉS • UNE RÉALISATION