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La Maison du diable
La rue Saint-Joseph, partant de la place de l’Hôpital, portait autrefois, dans sa première partie, le nom de rue ou chemin des Vaches, et dans sa seconde partie s’appelait chemin des Pèlerins.

Cette rue fut marquée par divers événements qui, en leur temps, ont excité la curiosité des Compiégnois. Elle a eu, notamment sa maison hantée. Le 16 juillet 1876, un certain Conin dit Ne­veu, qui habitait rue Saint-Joseph avec sa famille, se disposait à aller se coucher vers 10 heures du soir, lorsque sa bougie s’éteignit sans cause apparente. En même temps des coups retentissaient dans une armoire à linge. Ils étaient d’une telle violence qu’une voisine fut réveillée en sursaut. Son effroi fut d’autant plus grand qu’elle avait entendu dire que la maison de Conin avait été habitée jadis par un vieux berger qui passait pour sorcier. Le quartier fut bientôt en émoi. M. Berger, commissaire de police, arriva avec deux agents. On lui raconta l’étrange phénomène, qui avait troublé Conin et sa voisine. Bien que demeurant fort sceptique, le commissaire procéda à une minutieuse enquête. Il entra dans la maison de Conin, où, dans l’obscurité, il entendit distinctement plusieurs coups paraissant provenir de l’armoire. Le commissaire fit alors allumer de la lumière; il visita l’armoire et n’y découvrit rien. Le commissaire resta dans la maison pendant toute une partie de la nuit, mais rien ne se produisit.
Le lendemain avant de se coucher, Conin, armé d’un tiers-point, visite sa maison et explore le jardin. Il n’aperçoit rien de suspect. Il va pouvoir dormir en paix. Mais voici qu’un coup est frappé dans la porte fermant le passage entre son logis et celui de M. Lardenois. M. Conin va voir. Il croit apercevoir une ombre qui s’enfuit; il court et rejoint un brave poivrot qui déambule sans penser à mal.
Conin regagne son habitation et un voisin offre de veiller avec lui. Ils pourront à eux deux, surprendre le mauvais plaisant qui vient troubler la quiétude de la rue Saint-Joseph. Mais voici que, tout-à-coup la chandelle s’éteint. Des coups retentissent dans l’armoire… et le voisin s’enfuit. De nouveau on fait appel à la police. Le commissaire Berger revient avec deux de ses hommes, et, pendant tout le reste de la nuit, on attend le mystérieux esprit frappeur…. qui ne revient pas.
Cet événements sont bientôt connus dans toute la ville. Chaque soir les Compiégnois se portent en foule vers la rue Saint-Jo­seph. De soir en soir, le nombre de curieux s’accroît, au point que le commissaire de police est obligé d’organiser un service d’ordre et de faire barrer la rue par ses agents.
Et il en est ainsi pendant une bonne quinzaine.
Enfin, le mercredi 2 Août 1876, les coups se font entendre pour la dernière fois, mais cette nuit-là pas plus que les autres, on ne réussit à découvrir l’esprit frappeur.
Si le diable de la rue Saint-Joseph avait impunément bravé la police, peut-être redoutait-il davantage les huissiers. En effet, dès le 3 Août, un huissier avait été envoyé, par le propriétaire de l’immeuble, signifier congé à M. Conin. Et depuis, l’esprit ne revint pas.
La rue Saint-Joseph retrouva son calme, mais, quelques années plus tard, elle allait être troublée par un autre événement, tragique celui-là, qui allait faire grand bruit et donna à tous les journaux de France l’occasion d’avoir « du sang à la une ».

La Maison de l’Assassin
C’était un gentil petit ménage que celui qui était venu s’installer, en novembre 1884, dans une maison bourgeoise, au 25 de la rue Saint-Joseph, appartenant à M. Lambin, capitaine retraité, et louée 800 F par an, ce qui était alors un loyer important. Jeunes tous deux, le mari n’avait guère que 22 ans et sa femme 25, ils avaient coquettement meublé leur logement.
Le jardin qui l’entourait leur donnerait de jolies fleurs au printemps. Dans le poulailler, la jeune femme soignait avec amour quelques poules. L’ensemble formait un charmant nid d’amoureux.
L’époux, Charles Marchandon, s’absentait fréquemment. Il allait, disait-il, rendre visite à se parents châtelains à Fontainebleau ; mais sa femme, Jeanne Blain, qui jugeait plus aristocratique de signer « Jane », ne demeurait pas seule au logis. Elle y recevait la visite de personnalités « bien pensantes » et surtout du rédacteur en chef d’un journal de Compiègne, M. Jousselin de La Ripaillette, ardent défenseur du trone et de l’autel. Avant  de venir à Compiègne,  le ménage Marchandon avait habité pendant 7 mois à Verneuil, rue des Bois. M. de La Ripaillette, qui avait connu Jane Blain à Lyon, alors qu’il y était lieutenant de cuirassiers avait fait venir les deux jeunes gens à Com­piègne où il fréquentait assidûment leur demeure.

La rue Saint-Joseph (photo SHC)

Le 16 Avril 1885, M. de La Ripaillette déjeunait au 25 de la rue Saint- Joseph, avec Jane, lorsque Charles Marchandon arriva tout joyeux. Il avait reçu une jolie somme de ses parents, et était heureux de rapporter cette aubaine à sa compagne.
Le lendemain, vendredi, Marchandon et Jousselin de La Ripaillette se retrouvaient au café Jeanne d’Arc, rue d’Amiens. Les journaux de Paris arrivaient à ce moment avec le récit d’un horrible crime découvert la veille. Dans la nuit du 15 au 16, Mme Cornet, femme d’un riche industriel de Pondichéry, avait été assassinée dans son appartement, 4, rue de Sèze à Paris. Le concierge faisant une ronde vers 2 h. du matin avait entendu piétiner dans le logement. Il avait réveillé la cuisinière de Mme Cornet et l’on avait trouvé la femme de l’industriel, la gorge tranchée, la tête presque détachée du tronc ; un couteau-poignard était planté dans la poitrine.
Ce crime avait causé partout une vive émotion et particulièrement à Compiègne où les époux Cornet n’étaient pas inconnus. M. Cornet avait été élève du Collège de Compiègne et Mme Cornet avait habité Choisy-au-Bac en 1882.
Marchandon manifesta véhémentement l’indignation que lui causait un tel forfait. Quant à Jousselin de La Ripaillette, il déclarait que des crimes semblables étaient dus aux mauvaises mœurs créées par la République.
Il ajoutait que les assassins avaient bien tort de se gêner puisque, s’ils étaient découverts, le président Grévy ne manquerait pas de les gracier.
Et le soir, au dîner, dans la petite maison de la rue Saint-Joseph, on reprenait ces propos, lorsque des visiteurs se présentèrent vers 19h30.
C’étaient MM. Kuehn, chef de la sûreté, Letheux, commissaire de police, le brigadier Martin et deux agents. Ils venaient arrêter Marchandon, en qui ils avaient découvert l’auteur du crime de la rue de Sèze.
Marchandon, qui, à Fontainebleau, se faisait appeler le comte de Blainville, qui ailleurs se disait fils naturel du couturier Worth, était en réalité un domestique ayant déjà commis pas mal de méfaits. Affecté au  5eme dragon, il était insoumis. Il était recherché pour divers vols. Au début de 1884, il avait été arrêté, dans le quartier des Champs-Elysées, pour vol qualifié. Conduit devant le commissaire de police Beynaguet, il réussit à s’échapper sans que l’on ait pu le retrouver. Le lendemain, le commissaire recevait cette lettre : « M. Le Commissaire, je suis parti à Londres pour aller encore plus loin ; vous êtes un malin, mais je suis encore plus malin que vous. Ne cherchez pas, c’est inutile vous ne trouverez pas. Je suis avec des amis en sûreté et vous n’êtes que des imbéciles. Charles ».
La veille du crime, Marchandon était rentré, sous le nom d’Henri Martin comme valet de chambre chez Mme Cornet, où il avait été adressé par un bureau de placement. Dans la nuit, il tuait la malheureuse femme et la dévalisait puis revenait à Compiègne avec son butin. Arrêté dès le 17 Avril, il dut abandonner sa maison de la rue Saint-Joseph. Il y laissait ses volailles. La police de Compiègne en prit soin et l’on eut chaque matin le touchant spectacle d’un agent de police allant fraternellement porter du grain aux poulets.
Jane Blain était restée à Compiègne, où on la vit trôner à la vente mobilière, qui fut faite le lundi 22 Juin, à la salle des ventes, rue Le Féron. Elle voyait, sans manifester d’émotion, disperser, les meubles et les objets familiers qui avaient garni le nid du 25 de la rue Saint-Joseph. Marchandon comparut devant les Assis es de la Seine, les vendredis et samedi 25 et 26 Juin 1885. Après audition des témoins parmi lesquels des commensaux de la maison de la rue Saint-Joseph, Jousselin de La Ripaillette. Colin de La Brunerie, etc… et Jane Bain, on entendit le réquisitoire de l’avocat général Bernard ; Me Albert Danet présenta la défense de Marchandon qui fut condamné à mort, le lundi 10 Août 1885 le criminel fut exécuté.
Le président Grévy dont il raillait la clémence s’était montré inexorable. Qui aurait pu l’en blâmer ?
 
La Maison du bien : l’ancien hôpital Saint-Joseph

La rue Saint-Joseph doit son nom actuel au pensionnat des religieuses de Saint-Joseph de Cluny, qui, pendant de longues années, fut un établissement d’enseignement réputé dans toute la région. Les lois relatives aux Congrégations non autorisées amenèrent la fermeture de cette maison, au 1 Octobre 1904. Le pensionnat des sœurs de Saint-Joseph passa sous la direction de Melle Jantet et Mme Domecq, jusqu’à la guerre de 1914. L’ancien couvent Saint-Joseph devint alors hôpital auxiliaire de la Société de secours aux blessés militaires, sous la direction de la baronne Fain, infirmière-major, de Mme Domecq, économe, de MM. les docteurs Lucas, Gruard et Tournant. Frappé plusieurs fois par des obus et torpilles, l’hôpital dut être évacué en même temps que la ville, en mars 1918.
Après la guerre, l’ancien couvent Saint-Joseph demeurait sans utilisation. On songea un moment à y installer les services des Régions libérées qui, finalement trouvèrent asile au Palais.
La ville était alors administrée, depuis 1904, par un homme éminent, M. Fournier-Sarlovèze, qui s’était donné tout entier au bien de la cité et s’attachait particulièrement à l’école publique et aux œuvres sociales et hospitalières. Il eut l’idée de compléter l’armature hospitalière de Compiègne par la création d’un hôpital chirurgical. Le 23 Juillet 1920, M. Fournier-Sarlovèze annonçait au Conseil Municipal qu’une somme de 300.000 francs était allouée à la ville, sur le produit des jeux. Cette somme permettait, dit-il, d’acquérir l’ancien couvent Saint-Joseph, qui pouvait être acheté pour 350.000 F. Dans cet immeuble, un hôpital chirurgical pourrait être aménagé.
Le 24 décembre suivant le Conseil municipal autorisait les hospices à affecter 85.000F à cette acquisition. Le 18 Février 1921, le Conseil municipal décidait de solliciter du ministère de l’Hygiène une subvention de 320.000 F qui, avec les crédits dont disposait la ville, compléterait les 1605.000 francs nécessaires à l’acquisition de l’immeuble et sa transformation en hôpital chirurgical.
Le projet fut exposé, dans son ensemble, au Conseil Municipal, par M. Fournier-Sarlovèze à la séance du 18 mars 1921. Combattu par M. de Barante, qui trouvait le projet trop vaste et s’inquiétait de la dépense, le projet fut définitivement adopté à l’unanimité moins une voix.
Le nouvel hôpital Saint-Joseph fut inauguré le mercredi 15 Août 1923. Les locaux, parfaitement aménagés, furent visités, sous la conduite de M. Fournier-Sarlovèze, et du docteur Woimant, chirurgien-chef.
Une plaque fut apposée sous le porche de l’entrée principale, portant que cet hôpital avait été « créé sur l’initiative de M. Four­nier-Sarlovèze,  maire de Compiègne, président de la Commission administrative des Hospices, avec le concours de MM. Barbier, Cru, Delaidde, Marget, Martin, Dr. Théry, membres de ladite commission ; MM. le Dr. Woinant, chirurgien-chef ; Dr. P. Wurtz, chirurgien adjoint ; T. Bouchez, économe ; H. Chapon, architecte ».
L’âme de cette création avait été M. Four­nier-Sarlovèze qui, par ses dernières volontés, demanda à être inhumé dans cet établissement fondé par lui.
Depuis 40 ans, les successeurs de M. Four­nier-Sarlovèze n’ont pas manqué de continuer son œuvre et de la perfectionner au fur et à mesure que les besoins grandissaient et que la science faisait de nouveaux progrès. Dès son arrivée à la mairie, M. de Roths­child s’était donné à cette tâche. Le 5 Novembre 1935, le conseil municipal votait sur sa demande un crédit de 50.000 F pour travaux d’agrandissement des hôpitaux.
Et peu à peu l’Hôpital chirurgical Saint-Jo­seph fut doté de tous les perfectionnements modernes de l’époque.
Par Jacques Mermet, tiré de “nos rues ont une histoire”

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