A l’occasion de l’inauguration du monument à Georges Guynemer à Compiègne, le 11 novembre 1923, le boulevard du Cours fut rebaptisé cours Guynemer
A l’origine, y existait une série d’ilots, situés devant les remparts, reliés les uns aux autres et portant le nom générique de l’Isle de la Palée. On y trouvait notamment l’ile aux vins, où l’on débarquait les futs en provenance de la France entière, destinés aux marchés du Nord de l’Europe (Compiègne aux XIII et XIVème siècles était l’une des premières places de France pour le commerce du vin), et quelques autres ilots où l’on pratiquait la construction et à la réparation des embarcations fluviales. La Porte d’Oyse, appelée aussi Porte d’Ardoise, située au croisement des rues Vivenel et Hyppolite Bottier actuelles, permettait d’accéder à l’Île de la Palée.
L’isle de la PaléeUne palée est une rangée de pieux en bois fichés en terre pour soutenir un ouvrage en terre ou en maçonnerie, permettant de former une bordure rigide lors de la confection d’une berge et de soutenir des sols instables. L’ile de la Palée à Compiègne servait au déchargement des barriques de vin en provenance de Bourgogne, des Pays de Loire et de la région Parisienne. Le vin était stocké dans les caves compiégnoises avant de repartir vers le nord du pays par convoi routier. Cette activité prit une importance considérable du XIIeme jusqu’au début du XVeme siècles; Mais la guerre de Cent Ans et les rivalités entre le royaume de France et le Duché de Bourgogne mirent à mal cette activité; Compiègne perdit son rôle de plaque tournante du commerce de vin et les iles de la Palée ne furent plus destinées qu’à la navigation locale et à la réparation des barges. |
Le premier plan connu représentant Compiègne, daté de 1509, montre bien cet ensemble d’ilots auxquels on accédait par un pont à 9 arches à la Porte d’Ardoise. On retrouve la même configutration dans le dessin de Joachim Duwiert de 1611.
Plan de Compiègne de 1509
Dessin et plan de Compiègne – Joachim Duwiert – 1611
Sur le plan Jollain de 1637, les ilots ont été reliés les uns aux autres, et la principale activité de l’ile de la Palée semble être la construction et la réparation des barges navigant sur l’Oise.
Plan Jollain de 1637 |
Vers 1660, avec le dessin très réaliste d’Israël Silvestre, on constate que la construction navale y est particulièrement intense et que le cours n’existe pas encore. Quelques maisons de bois s’adossent sur les remparts et le fossé qui séparait la ville des ilots a été comblé. Les fossés une fois asséchés formèrent ainsi une large esplanade et Louis XIV y fit planter les premiers arbres.
Dessin de Compiègne – Israël Silvestre
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Sur le plan Mottheley de 1692, on voit déjà deux rangée d’arbres à l’emplacement des iles qui préfigurent le Cours. Par une délibération du 1er octobre 1703, les maire et gouverneurs attournés étaient autorisés à transiger avec l’abbaye de Saint-Corneille relativement à la « propriété des « arbres que lesdits gouverneurs avaient, ci-devant, fait planter pour l’ornement de la ville, au lieu dit la Palée, depuis la porte Notre-Dame jusqu’à la tour Palée et depuis les murailles de la ville jusque sur les bordages ou élévations en terrasse, faites le long de la rivière »
Plan de Compiegne – Mottheley (1692) |
Sur le plan Chandellier de 1734, les remparts sont encore présents et les arbres ébauchent le tracé du futur cours; au centre un terrain de jeu de battoir, sorte de jeu de paume.
Plan de Compiegne – Chandelier (1734) |
Vers 1770 ,Tavernier de Jonquières représente une vue du cours en direction du pont neuf construit par Louis XV; on y remarque les rangées d’arbre le long de l’Oise et les remparts ont été abattus de la rue de l’arquebuse jusqu’à la rue du Pont-Neuf ( l’actuelle rue Solférino); l’esplanade est à peine comblée, certains bras de la rivière apparaissent encore et le cours est plus un terrain de promenade que d’habitation.
Plan de Compiegne – Tavernier de Jonquières (~ 1770) |
Sur le plan Damas de 1838, le boulevard du cours n’est pas encore tracé; les terrains n’ont pas été surélevés et si la rue de Nemours (rue Vivenel actuelle) a été lotie à l’emplacement des remparts, il n’en va pas de même pour les maisons du Cours, pratiquement inexistantes.
Plan de Compiegne – Damas (1838) |
Puis en 1839, une partie des anciens fossés sont comblés et on trace une route qui devint le passage de la route nationale n° 31 de Rouen à Reims et que l’on appelle désormais boulevard du Cours; le plan Guéry de 1865 montre le boulevard du Cours tel que nous le connaissons aujourd’hui, avec un boulevard arboré et en contre-bas le port au charbon, le port au plâtre et le port au vin. Une statue du major Otenin, inaugurée le 12 juillet 1914, à la veille de la déclaration de la guerre, se dressait au début de l’artère. Elle fut démontée et fondue par le gouvernement de Vichy en 1942.
Le Boulevard du Cours a eu tout d’abord une vocation militaire: entre la rue de l’Arquebuse et la rue Hyppolyte Bottier, se trouve une importante caserne appelée Quartier Bourcier.
“Sous Louis XVI, en 1786, on construisit des écuries afin de loger les troupes à cheval ; elles étaient situées rue de l’Arquebuse, en face des Écuries de la Reine. C’est sous Louis-Philippe, en 1843, que fut édifié, sur l’ancien jardin des Carmélites, le bâtiment au fronton sculpté, baptisé quartier d’Orléans, puis Jeanne d’Arc. Le second Empire, à partir de 1857, joignit cet édifice aux anciennes écuries par d’autres constructions dont le Manège. Ce quartier de cavalerie est dédié depuis 1886 au général François Bourcier (1760-1828). Diverses formations s’y abritèrent, citons : le 13e régiment de dragons puis le 5e qui se maintint de 1886 à 1914 et cohabita avec le 54e d’infanterie qui y demeura de 1873 à 1914, le 6e spahis avant 1939,de 1949 à 1976 les services vétérinaires de l’Armée, puis jusqu’en 2013, l’Ecole d’Etat Major” (1).
En face du quartier Bourcier, se dresse le monument aux morts au 5° Dragons, réalisé par l’architecte Jean STRA et l’entreprise Demouy, et inauguré le 23 septembre 1934.
Le Boulevard du Cours a connu également au début du XXeme siècle une vocation industrielle; ainsi, au n°31, au croisement du Cours et de la rue Pierre Sauvage, où se trouvent aujourd’hui les assurances GMF, se dressait le garage Guinard.
“Jules Guinard, originaire de la Meuse, vint s’installer à Compiègne en 1902, où il monta, au 31 boulevard du Cours, avec l’aide de son beau-père et de son oncle, Joseph et Thomas Linard, une unité de production et un commerce de cycles, de machines à coudre et d’automobiles. Les cycles portaient la marque “Le Cerf”, car Mr Guinard, qui aimait les chasses et la forêt, avait voulu que le nom choisi reflétât ses goûts et ses distractions préférés. Dès 1903, la marque fut récompensée au concours du Touring Club et vantée par le journal “l’Auto”. Pour donner des facilités à ses clients, Guinard avait prévu pour eux des paiements par mensualités, avec une publicité pleine d’humour:
“Tu vas à pied, fais donc comme moi, qui me suis acheté un bon vélo solide et robuste que je paie 10 F par mois chez Guinard “.
Les établissements Guinard étaient en plein centre ville une importante usine de production métallurgique employant des dizaines d’ouvriers. Les photos de l’époque montrent des ateliers permettant des fabrications complexes. En 1915, l’usine Guinard fut réquisitionnée pour la fabrication de pièces de mitrailleuses destinées au 6ème parc d’artillerie” (2).
Au n° 35, l’ancêtre du bistro des Arts existait déjà en 1900 !
“Beaucoup de villes ou villages baignés par une rivière avaient une auberge annonçant “Matelote et Friture“. Compiègne n’échappait pas à cette coutume avec le restaurant situé 35 boulevard du Cours, qui était l’ancien Café de l’Union sous le Second Empire. A ce café se trouvait le bureau du bateau à vapeur Compiègne-Soissons, liaison inaugurée le 3 novembre 1834. Longtemps tenu par Tartary, cet établissement fut ensuite dirigé par Jean Daily et son épouse Appoline Amorisson, d’origine belge. Jean était pêcheur et c’était lui qui procurait le poisson servi au restaurant ou encore livré à domicile à la demande des clients. Le ménage eut huit enfants, dont plusieurs fils furent pêcheurs comme le père, notamment Lucien qui demeurait au Moulin Coquerel où, en 1909, il ouvrit un café. C’était après Les Bains Militaires, non loin du Clos des Roses. En 1893, le restaurant Matelote et Friture du boulevard du Cours, fut repris par la fille aînée, mariée à Alphonse Varé. Une fois veuve, elle continua à tenir le restaurant qui avait, dans le jardin, berceau et bosquets pour repas en plein air à la belle saison. Jean Daily décéda chez sa fille en 1907 à 87 ans. En 1913, Sylvius Bancourt reprit le café-restaurant et plus tard son fils André s’occupa de la fabrication de poste de T.S.F.”(2)
Dans les années 1950, l’auberge devint le bar “Le but“, lieu de rendez vous des amateurs de football et siège du Stade compiégnois ; la construction fut démolie en 1993 pour faire place en 1996 à l’hôtel et au bistro des Arts.
Quant au nom actuel du Cours, rappelons que Georges Guynemer (1894-1917) fut un aviateur français durant la Grande Guerre; il compta 53 victoires à son actif et reçut 21 citations et la Croix de la Légion d’Honneur. Il disparut le 11 septembre 1917 lors d’un combat dans les Flandres belges. Sa devise “Faire face” est celle de l’Ecole de l’Air. Sa famille avait une résidence à Compiègne en haut de la rue Saint Lazare et il fit une partie de ses études au Collège de Compiègne. C’est à l’aérodrome de Margny les Compiègne qu’il apprit à piloter. Son père, Paul Guynemer était membre de la Société historique de Compiègne et publia de nombreux ouvrages historiques sur Compiègne et sa région, notamment sur l’église Saint-Antoine, la seigneurie d’Offémont, le cartulaire de Royallieu.
(1) : textes de François Callais pour le site de la Société historique
(2) : textes de Louis Duquesnay – “Album souvenir de Compiègne” – La sauvegarde du Vieux Compiègne- 1985