Le jeudi 18 août 1429, au milieu des acclamations d’une foule en liesse, le roi Charles VII et Jeanne d’Arc, escortés d’un brillant cortège de seigneurs et de gens d’armes, faisaient leur entrée à Compiègne par la Porte de Pierrefonds, Accompagnée d’un de ses frères, de son écuyer, de deux pages et de son chapelain, Jeanne suivit toute la rue de Pierrefonds pour se diriger ensuite vers l’Hôtel du Bœuf, rue Parisine, où elle devait loger chez Jean Le Féron, procureur du roi.
La rue de Pierrefonds, limitant le fief des Tournelles, était bordée d’hôtels. Le dénombrement du fief des Tournelles, en 1376, mentionne les Hôtels de l’Ane Rayé, de l’Homme sauvage et de la Croix d’Or ainsi que, hors de la Porte de Pierrefonds, contre les fossés, étaient deux pièces de vigne, appartenant à Jeanne Le Caron. Les dénombrements de 1564 à 1578 indiquent, en outre, rue de Pierrefonds, les Hôtels de la Pie, de Saint-Antoine, de l’Horloge, du Pélican, du Dieu d’Amour, du Cinge ou Cygne. Il y avait aussi les Hôtels de l’Echiquier, du Faucon, de Lesdiguières, des Trois Couronnes, de l’Ecrevisse, de la Souche.
L’Hôtel des Trois Couronnes figure au plan de 1734. Les Hôtels de l’Echiquier et du Faucon sont signalés comme ayant été détruits lors du siège de 1430. L’Hôtel de l’Ecrevisse fut brûlé en 1477. L’Hôtel du Dieu d’Amour était entre la « grande porte flanquée de Tournelles» et l’Hôtel du Pélican. Il y pendait comme enseigne un « Cupidon armé d’un arc et d’un carquois rempli de flèches ardentes». Il avait appartenu à Pierre Louvet, qui épousa en 1480 Louise Le Père, veuve de Guillaume Blocquet, mercier. Collecteur de tailles en 1483, Pierre Louvet fut élu gouverneur attourné en 1487 et réélu en 1490. Pendant ses six ans de magistrature municipale, il fut mêlé à des événements importants. En 1487 ou 1488, il fit partie d’une ambassade envoyée par les villes de la région auprès du roi pour lui « remontrer le grand intérêt que le peuple a au cours de monnoies, afin d’y donner provision». Le 1er avril 1493, Pierre Louvet, en sa qualité d’attourné, eut à recevoir le roi Charles VIII et la reine Anne de Bretagne.
Après Nicaise Louvet, décédé après 1530, le Dieu d’Amour passa à un de ses fils, Simon Louvet, notaire royal, puis procureur du roi de 1574 à 1577, mort en 1589. A Simon Louvet succéda son frère Claude qui vivait encore en 1593, puis le fils de ce dernier, procureur et notaire. La dernière mention connue du Dieu d’Amour est de 1603. L’hôtel du Dieu d’Amour fut réuni à l’Hôtel du Pélican pour former la propriété indiquée au plan Chandellier, en 1734, sous le nom de Délandre, ou plus exactement des Landes. L’Hôtel de la Pie avait été tenu en 1575 par Regnault Cailleux, et en 1676, par Claude Cronnier, maître de la poste aux chevaux. Cet hôtel serait devenu la propriété de la famille Le Caron de Mazencourt et l’ambassadeur d’Espagne y aurait logé lors du mariage de Napoléon avec Marie-Louise.
L’Hôtel Saint-Antoine appartint aux Le Féron. L’Hôtel de la Grande Croix d’Or, situé hors de la porte de Pierrefonds, se trouvait rue de Pierrefonds, à l’angle de la rue des Domeliers. « L’hôtel où pendait l’enseigne de la Croix d’Or était une maison construite en pans de bois, à étages saillants et à pignon en encorbellement sur la rue.
C’était autrefois la demeure d’un bourgeois de la ville, Jean Morlière, marié à Renaude Le Page. Cette hôtellerie est devenue célèbre par les fréquents séjours qu’y fit Louis XI… Jean Morlière attourné de Compiègne, était un magistrat intègre, tout entier aux devoirs de ses diverses fonctions, incapable d’une action basse et qui n’abuse jamais de la confiance de son souverain. La prédilection de Louis XI pour Jean Morlière, qu’il appelait familièrement « son compère», s’explique par la haute estime qu’il avait pour lui ». (Coët)
L’Hôtel de la Grande Croix d’Or fut démoli lors du percement de la rue Magenta en 1859.
Louis XI avait fait sa première entrée à Compiègne au début de novembre 1461 et avait logé à la Grande Croix d’Or. Il y revint plusieurs fois, notamment le 20 juillet 1468. A cette occasion, les voituriers Guillot Henry, Jean Hénault, Cyprien Cornille et Pierre Herse avaient charrié les boues des rues du Pont et de Pierrefonds qui avaient été enlevées par Jean Laudigeois, Gilles Lescripvain et Manin Motelette. Le roi resta jusqu’au 14 août. C’est pendant ce séjour qu’il apprit la victoire remportée sur le Duc de Bretagne et décida la fondation de la chapelle de la Salvation.
En juillet 1476, l’administration municipale fit procéder à de grands travaux de pavage pour remédier au mauvais état de rues devenues impraticables. Le « chaussoyeur » Guillaume Daubeson exécuta notamment 92 toises de chaussées rue de Pierrefonds, « depuis l’égout se trouvant devant la maison de Girard de Gouy, jusqu’au coin qui tourne à la Cour le Maïeur, devant la maison de Jean Simon, moyennant 16 livres, 17 sous, 4 deniers».
Dans le fossé des fortifications avoisinant la porte de Pierrefonds se trouvait le Jardin des arbalétriers, où se réunissait sous la présidence de son connétable, la compagnie des arbalétriers, autorisée par lettres de Charles V, de septembre 1368.
Mais ce qui caractérisa surtout la rue de Pierrefonds, ce fut la Chapelle de la Salvation…
A l’entrée de la Ville, vers les faubourgs Saint-Ladre, se trouvait la porte de Pierrefonds, que l’on appelait aussi grande porte du Roi ou Maîtresse porte au lez de vers la forêt. En voici la description de Coët :
« Ses moyens de défense consistaient en un gros massif de maçonnerie à plusieurs étages, contenant 2 corps de garde et un passage voûté en ogive, muni d’une porte, une herse et pont-levis. Au-dessus de la voûte se voyait un étage composé d’une muraille percée de meurtrières et une salle destinée aux engins servant à la manœuvre de la herse.
Deux tours en maçonnerie flanquaient, à droite et à gauche, l’entrée de la porte de Pierrefonds ; elles étaient cylindriques, bâties en pierres provenant du Mont St-Marc et couvertes d’un toit conique. Il est probable qu’au Moyen âge, des créneaux, des mâchicoulis et des hourds devaient exister à la partie supérieure des tourelles et des bâtiments ».
C’est sur cette porte que Louis XI donna, en 1468, l’ordre de construire une chapelle de la Salvation ou de la bonne nouvelle.
Une légende s’était accréditée disant que cette chapelle avait été édifiée à l’occasion de la mort du duc de Bourgogne, Charles le Téméraire. Or, celui-ci ne fut tué qu’en 1477, près de dix ans après la construction de la chapelle. En réalité, la décision de Louis XI de faire élever la chapelle, fut prise, lorsque le roi, se trouvant à Compiègne, apprit la défaite du duc de Bretagne, un de ses principaux adversaires. Pour remercier le Ciel de cette victoire, qui rompait une coalition formée contre lui, Louis XI voulut faire construire une chapelle dédiée à la Vierge, et chargea Jean Morlière de passer les marchés et surveiller les travaux.
Commencés en août 1469, les travaux durèrent environ six mois. Un savant travail de M. Henri Muller a permis de connaître l’emplacement exact de la chapelle de la Salvation, ainsi que les détails de sa construction et de son histoire.
Cette chapelle se trouvait non pas près de la porte de Pierrefonds, comme l’a écrit M. Aubrelicque, mais sur cette porte « devant l’image Nostre Dame restant à la porte de Pierrefonds ». La chapelle s’élevait sur une voûte à 2 travées. On y montait par un escalier à vis de 25 marches. La chapelle mesurait, dit M. Muller, « 10 m sur 6 m, voûtée d’ogives, une seule travée, les armes du roi à la clé -de voûte ; tous les arcs : ogives, doubleaux et formerets bien moulurés. 3 fenêtres à remplages sculptés, garnies de verrières blanches, avec bordures de verre de couleur… La chapelle, le clocher et la tourelle de la vis ont été couverts d’ardoises par Jean Le Fondeur, couvreur à Soissons… Le clocher octogonal, en bois, était orné à chaque angle d’un pinacle sculpté. Guillaume Prévost a fait le beffroi et a fourni le bois nécessaire, mais -c’est Jean de la Grange, serrurier, qui a fait les pentures pour pendre les cloches. Il y avait 2 cloches achetées à Paris à Jean Karado, fondeur et canonnier, pesant ensemble 125 livres et coûtant 20 livres. 12 sous, 6 deniers tournois. La flèche, qui était étamée à la pointe, était terminée par une croix de fer de 113 livres, fournie par Colin Leclerc, serrurier, et mise en place par Jean Mi-lot, pour 30 sols. Au-dessus, un coq de cuivre-doré, payé 35 sous à la foire du Landit. La dédicace de la chapelle eut lieu le jeudi 7 février 1470 et fut faite par l’évêque d’Avranches, Jean Boucard, confesseur du roi. « La chapelle de SI.D. de Salvation n’était donc pas simplement un petit oratoire sans importance, mais une élégante construction de style flamboyant qu’on voyait dominer de sa fine flèche, la porte, es remparts et les maisons de la rue de Pierrefonds ».
Mais la construction de la chapelle n’alla pas sans difficulté. Le terrain se trouvait sous la juridiction de l’abbaye de Saint-Corneille et l’abbé pouvait contester au roi le droit d’y faire bâtir un édifice et d’y affecter un chapelain. Mais, Louis XI était un habile homme ; il sut prendre les devants et sut adroitement se faire donner un consentement. Par la suite, Louis XIII réunit la chapelle au Collège de Compiègne, avec obligation d’employer ses revenus à l’entretien des régents ou professeurs. Cette union fut confirmée par Louis XV en 1763, lors du renvoi des Jésuites et de leur remplacement par des prêtres séculiers, puis par les Bénédictins…
Un arrêté du Conseil du roi du 4 décembre 1782 portait concession à divers particuliers de terrains dépendant de la fortification de Compiègne à la porte de Pierrefonds.
Le 12 mai 1785, la Porte de Pierrefonds était cédée à la ville qui établissait le 28 décembre 1786 un cahier des charges en vue de la démolition de cette porte et de l’alignement des rues de Pierrefonds et Saint-Lazare.
Ainsi disparurent, en 1787, la porte de Pierrefonds et la chapelle de la Salvation.
Le 19 juin 1937, on inaugurait, sur la maison Dubloc, une plaque rappelant ces deux monuments si intimement attachés à l’histoire de Compiègne. Des discours furent prononcés par M. de Bréda, président de la Société historique, et par M. Cosyns, adjoint au maire, délégué de la municipalité. Mme et Mlle Dubloc firent visiter leur propriété et leur parc où se trouva longtemps le jeu d’arc, succédant à celui des arbalétriers. Ce jeu était installé dans les fossés des remparts qui longent cette propriété où habitat longtemps M. Edouard Dubloc qui, en sa qualité de président de la Caisse d’Epargne, fut le fondateur des divers groupes de maisons ouvrières de Compiègne.
Le 29 décembre 1936, une proposition avait été faite au Conseil municipal de donner le nom de M. Edouard Dubloc à la rue de Pierrefonds. Mais les grands souvenirs historiques attachés à cette rue firent écarter ce projet et ce fut à une autre rue de la ville que le nom de Dubloc fut donné…
Si la porte de Pierrefonds marqua une étape de la chevauchée de Jeanne d’Arc, entrant à Compiègne le 18 août 1429, un autre glorieux souvenir se rattache à son nom.
Après la prise de Jeanne, la ville, loin de se rendre, opposa la plus vive résistance à l’ennemi. Pour prendre Compiègne, les Anglo-Bourguignons élevèrent plusieurs bastides, dont celle de St-Ladre se dressait devant la porte de Pierrefonds. Le 25 octobre 1430, une partie de la garnison de Compiègne, à laquelle se joignirent des habitants et surtout de nombreuses femmes, sortait par la porte de Pierrefonds. Après un combat acharné, dans lequel les Compiégnoises se battirent avec plus d’ardeur encore que les hommes, la bastide St-Ladre fut emportée et cette prise amena le salut de la ville. Compiègne put être ravitaillé et secourue par les troupes de Xaintrailles qui, avec celles de Flavy, emportèrent les autres positions fortifiées de l’ennemi. Les Anglo-Bourguignons durent fuir en désordre, abandonnant artillerie et bagages. La ville de Compiègne ne s’était pas rendue. Elle était sauvée et son salut était dû en grande partie à l’héroïsme des femmes compiégnoises qui combattirent à la Porte de Pierrefonds.
Par Jacques Mermet, tiré de “nos rues ont une histoire”
Vous pouvez aussi consulter l’article suivant:
– Fondation de la chapelle de la Salvation près de la porte de Pierrefonds, par Fernand Le Proux, 1873, 30 pages
– La Chapelle royale de Notre-Dame de la Salvation de la porte de Pierrefonds, par le chanoine Muller, 1938 15 pages