Elle a son caractère propre, cette rue quelque peu tortueuse avec ses immeubles modernes voisinant avec de vieilles demeures du temps passé, vénérables dames dont on s’est efforcé de dissimuler les rides. Dans les anciens hôtels logeaient de grands bourgeois d’autrefois, tel Jean Esmangart de Bournonville, administrateur du bureau de bienfaisance, second fils d’Antoine-Charles Esmangart de Bournonville, qui fut secrétaire du duc de Choiseul et commissaire du régiment des gardes suisses. Né en 1766, Jean Esmangart avait épousé Louise-Sophie de Cayrol, fille d’Antoine de Cayrol, avocat, conseillé au Parlement qui fut maire de Compiègne en novembre 1791, puis Juge au tribunal du district. On le voit, on est en bonne compagnie dans cette rue dont les habitants ont toute notre sympathie.Cette rue s’est appelée rue d’Estrées ou plus exactement rue Dame Helvis d’Estrées, de ce que cette dame du temps passé possédait le plus important des immeubles dont la porte principale s’ouvrait sur cette voie. Helvis d’Estrées était parente et peut être même la femme de Jean d’Estrées, seigneur du Bois-de-Lihus, qui fut maire de Compiègne de 1201 à 1207, et dont l’aîné des quatre fils, Raoul, fur maréchal de France, tandis que le second fut abbé de Saint-Corneille. Mais la rue d’Estrées ne tarda pas à s’appeler aussi rue des Cordeliers en raison de la création, près de l’ancien cimetière de Saint-Antoine, d’un couvent de ces religieux. Les Cordeliers s’étaient d’abord établis dans le faubourg Saint-Germain. Saint-Louis les trouvant peu en sûreté hors des remparts, les encouragea à se fixer près de Saint-Antoine en 1254, dans un monastère dont l’entrée principale était au n° 30 actuel de la rue des Domeliers. Cette installation fit que la rue fut appelée indifféremment rue d’Estrées ou rue des Cordeliers. Nous en trouvons la preuve dans un dénombrement du fief des Tournelles, en janvier 1564, où l’on relève parmi les redevables de cens :
“Jehan le Clerc l’aisné, pour sa maison, lieu et pourpris, nommé l’ostel Saint Adrian, séant audit Compiengne en la rue d’Estrées, tenant d’ung costé à Charles Saget, d’autre à la rue qui maine des boucheries à la rue des Dommeliers, d’un bout à la rue d’Estrées, d’autre à une masure appartenant à Charles saget”. “Charles Portebled, pour une maison, lieu et pourpris, sis en lad, rue d’Estrées, tenant d’ung costé et aboutant à la maison du Cingne,
Parmi les hôtels se trouvant rue des Cordeliers étaient celui des Trois~ Pigeons et£Hôtel Saint-Adrien. Dans une délibération municipale, on trouve mention de “certaines, chevalées faites le 7 juin 1498, à l’occasion de l’entrée du roi (Louis XII) qui issues de l’hôtel des Tournelles, l’ont conduit jusqu’à la ruelle d’Estrées, chevauchant honnêtement et dont le roi s’est fort contenté”.
Rue des Cordelliers se trouvait une des entrées du fameux hôtel d’Arras, devenu l’hôtel des Rats et dont la façade principale fut ensuite rue Saint-Antoine près la Place du Change. L’amiral de Coligny descendit en cet hôtel le 25 avril 1553, mais les hôtes les plus célèbres en furent Henri IV et Gabrielle d’Estrées qui s’y rencontrèrent maintes fois. A propos de ces visites royales, on a trop souvent raconté comme chose véridique la sotte histoire du roi Henri surprenant Gabrielle alors qu’elle se préparait à souper avec Bellegarde, ce dernier se cachant sous la table et le roi lui lançant un pot de confitures. Il s’agit d’une légende purement imaginaire qui a servi pour d’autres personnages et d’autres lieux.
En 1843, l’Hôtel des Rats fut divisé en deux parties, seule celle donnant sur le Change conserva l’ancien nom.
La ville de Compiègne avait été divisée en douze quartiers en 1650 et les îlots de chaque quartier, appelés “tours” avaient leur nom. Ainsi l’îlot formé par les rues des Cordeliers, des Lombards, des Domeliers et la rue Neuve (rue du Président Sorel) s’appelait le Tour des Orgues, faisant partie du premier quartier, ainsi que le Tour des Cordeliers, entre les rues des Cordeliers, Neuve, des Domeliers et Hersan. L’autre côté de la rue des Cordeliers était du huitième quartier, avec ses trois îlots : le Tour des Rats, entre les rues des cordeliers, des Boucheries, le Change et Saint-Antoine; le tour du chevalet entre les rues des Cordeliers, des Boucheries, le Change et la rue du Croissant; le Tour des Croissants entre les rues des Cordeliers, du Croissant, le Change et des Lombards. Le 4 octobre1792, la rue des Cordeliers prit le nom de rue de la Liberté puis redevint par la suite la rue des Cordeliers, nom qu’elle conserva jusqu’à nos jours.
Par Jacques Mermet, tiré de “nos rues ont une histoire”