La rue des Pâtissiers s’appelait avant la Révolution, rue de la Heuse (la heuse était une chaussure de fer qui complétait l’armure des chevaliers au Moyen-âge); elle porta aussi le nom de rue de la Borne de Fer, à cause d’une bombarde renversée qui était au coin de l’Hôtel-de-Ville et qui servait de borne pour protéger la maison du choc des voitures. Jadis les artisans d’une même profession se groupaient dans la même rue. Peut-être alors les fabricants de chaussures furent-ils nombreux dans cette rue. Plus tard, elle prit le nom de rue des Pâtissiers, de nombreux « oublieurs » s’y étant installé. En effet, les pâtissier« oublieurs » c’est-à-dire fabricants d’oubliés. Dans ses tablettes d’histoire locale, Emile Coët rappelle les devoirs des pâtissiers :
Les pâtissiers joints aux rôtisseurs et traiteurs formaient une importante corporation. Aux termes des statuts de ce corps de métier, il fallait pour être reçu « maître » que le postulant fit un « chef-d’œuvre » : un plat de saupicquet et de viande. Il était apporté en grande cérémonie à la chambre de l’Hôtel-de-Ville où le Corps municipal le goûtait puis décidait, après examen approfondi, si l’apprenti devait ou non passer maître. Une fois reçu, le pâtissier devait promettre et jurer de n’acheter « aucun poisson pasmé, ayant le fiel crevé dans le ventre », et de ne jamais rien vendre à ses pratiques de corrompu, gâté et indigne d’entrer dans le corps humain ».
Il était également défendu aux marchands qui fournissaient les pâtissiers de vendre des clapiers pour lapins de garenne ou des canards de pallier comme « francs de rivière » afin qu’on reconnût plus facilement les lapins de clapier et les canards de basse-cour, les premiers devaient avoir l’oreille coupée ainsi que le bout du museau ; les seconds devaient avoir le bec brûlé, à peine de 10 livres d’amende et de confiscation. La pâtisserie qui subsistait dans les années 70 la rue des Pâtissiers était d’origine fort ancienne. Bien avant M. Brillet qui y exerçait alors ses talents, le pâtissier Jean Charpentier y exerçait son état lors du séjour à Compiègne du roi Lois XV en 1751.
A l’époque de la révolution, cette pâtisserie appartenait à Benoît Jacques Nicolas. Le fils de celui-ci, Joseph Nicolas dit Gaspard lui succéda le 8 Pluviôse an VIII, II eut pour successeur son fils Joseph Emart, puis le fils de celui-ci Victor Emart. Cette maison devint plus tard la pâtisserie Cléret dont l’excellente réputation dépassait de beaucoup les limites de la ville.
A la place de la Bijouterie Legay, se tenait l’Hôtel de la Heuze d’où la rue tirait son nom de rue de la Heuze comme nous l’avons dit plus haut. L’Hôtel qui avait pour enseigne une botte de fer, appartenait à Gaucher Louvet qui, pendant le siège de 1430 fournit 8 mines et demie de blé pour l’approvisionnement de la ville. Il fut gouverneur-atourné en 1466 et mourut en fonctions le 1er octobre 1467. En 1587, l’Hôtel était tenu par Pierre Lahuste. Il fut réuni en 1780 à l’Hôtel Sainte-Anne situé à la place de la Maison Moinier et devint alors la propriété de Marc Tournemeule, curé du Plessis-Brion. Ce ne fut que plus tard que l’Hôtel Sainte-Anne fit place à une maison d’alimentation.
Au début du siècle, le 20 septembre 1901, le magasin était tenu par M. Boucheron qui eut l’honneur de fournir tout ce qui fut nécessaire au repas offert au Tsar et à la Tsarine au Château Compiègne. Le prédécesseur de Marcel Monnier était déjà particulièrement bien achalandé en poissons, volailles et primeurs si l’on en juge par le dîner qui fut servi aux gracieux souverains de toutes les Russies.
Menu
Tortue claire à la Française
Crème du Barry
Rissoles Luculus
Caisses de laitances Dieppoise
Barbues dorées à la Vatel
Selles de chevreuil Nemrod
Poulardes du Mans
Cambacérès
Terrines d’huîtres à la Joinville Cailles de vignes braisées Parisiennes
Citrons granités à l’Armagnac
Faisans de Compiègne truffés rôtis
Truffes au Champagne Suprêmes de foie gras de Nancy
Salade Potel
Pains de pointes d’asperges à la crème
Turbans d’ananas de Versailles
Glaces Fidélio
Condés grillés
Vins
Amontillado sec
Sauternes en carafes
Saint-Emilion en carafes
Perrier-Jouet en carafes
Château-Yquem 1874
Château-Laffite 1875
Corton Grand Vin 1868
L’Hôtel des Chapeaux-Verts occupait l’emplacement du Café de Paris à l’angle de la rue du Chat-qui-Tourne (aujourd’hui rue Eugène Floquet). Chaque année, lors de la procession du Saint-Sacrement, un reposoir était édifié à l’entrée de la rue de la Heuze ; tous les habitants de la rue contribuaient à son installation.
La rue des Pâtissiers faillit voir passer le cortège d’un mariage royal, celui du mariage de Charles IX avec Elisabeth d’Autriche. Ce mariage devait être célébré à l’abbaye de Saint-Corneille, le 26 novembre 1570. De grands préparatifs avaient été faits. Une galerie en tapisserie décorée et ornée avait été commencée pour relier le château à l’abbaye par la grande rue Saint-Pierre (rue des Minimes). A cet effet on avait levé sur les habitants une contribution extraordinaire de dix mille livres et la ville avait aliéné pour 963 livres les prairies et le greffe de Margny. Mais, au dernier moment, en raison de la rigueur de la saison, le roi voulut éviter a sa fiancée les fatigues du voyage à Compiègne et alla au-devant d’elle à Mezières où fut célébré le mariage. La ville en fut pour ses dépenses et les pâtissiers pour leurs frais.
Par Jacques Mermet, tiré de “nos rues ont une histoire”