Peu d’entre eux, (peut-être même aucun) savent qui fut Eugène Jacquet et pourquoi il a donné son nom à une artère de notre ville.
Si la rue Eugène-Jacquet est assez peu fréquentée, elle a pris néanmoins une certaine importance en raison de la présence de la Sous-préfecture à l’entrée de cette voie, et.de la gendarmerie à l’autre extrémité
C’est le 31 août 1861 que le Conseil général de l’Oise a approuvé le projet de construction de l’hôtel de la Sous-préfecture de Compiègne. On avait eu le choix entre deux emplacements, la maison de Mme de La Brunerie, place Saint-Jacques et les terrains Klieski entre les avenues et le Jeu de Paume. On adopta ces derniers et les plans et devis furent établis par M. Lecœur, architecte de l’arrondissement.
A la session de 1866, le préfet de l’Oise soumettait au conseil le décompte des travaux s’élevant à 175.211,88 F. Le préfet déclarait: « Le nouvel hôtel a un aspect monumental et les aménagements ne laissent rien à désirer… La ville de Compiègne possédera une des plus belles sous-préfectures de France ».
Cependant le Conseil général ne partageait pas cet enthousiasme et se plaignait d’excédents de dépenses assez considérables. La commission disait avoir un devoir pénible à remplir « celui de provoquer contre l’architecte les sévérités du Conseil général ». Elle s’indignait de voir s’élever à plus de 170.000 F une dépense qui ne devait être au début que de 120.000 F. Cette vertueuse indignation fait sourire aujourd’hui !
La gendarmerie avait été installée à l’origine rue de la Surveillance, puis jusqu’en mai 1858, rue des Minimes à l’ancien hôtel du Ministère de la Marine. Elle vint ensuite se fixer dans la rue qui porte le nom d’un vaillant patriote : Eugène Jacquet.
Né à Compiègne en 1869, Camille-Eugène Jacquet, après avoir fait de bonnes études au collège de sa ville natale, avait embrassé la carrière commerciale. Il fit un séjour de plusieurs années aux Etats-Unis puis revint en France et se fixa à Lille. Ardent républicain comme l’avait été son père, il fut vice-président de la Fédération du Nord de la Ligue des Droits de l’Homme….
Vint la guerre de 1914. Le 13 octobre, Lille se rendait. Environ 1.500 des soldats français qui avaient, défendu la ville évitèrent la captivité en se réfugiant chez les habitants. Jacquet se mit à la tête d’un comité de secours aux soldats cachés dans Lille. Non seulement ce comité venait en aide à ces soldats, mais facilitait leur évasion.
Le 7 juillet 1915, les Allemands arrêtaient un convoi de cinq évadés parmi lesquels un certain Louis Richard qui s’était réfugié à Lille après les bombardements et avait été secouru par le comité Jacquet.
Aussitôt après son arrestation, Richard avoua l’existence du comité. II déclara que l’on envoyait les évadés en France par la Hollande, généralement avec des documents d’ordre militaire cachés dans des cannes creuses. Il révéla les noms des membres du comité et aida les policiers allemands à les rechercher. Deux jours après, Silvère Verhulst, qui servait de guide aux fugitifs, était arrêté à Anvers, avec trois hommes dont il avait favorisé la fuite. Le lendemain, 10 juillet. Jacquet et sa fille aînée, Geneviève, étaient arrêtés, ainsi que plusieurs patriotes, entre autres Georges Maertens et le docteur Bardou. Le 11 juillet, les Allemands arrêtaient Ernest Deconïnck, qui centralisait les renseignements militaires et était un des meilleurs organisateurs des services d’évasion. Une perquisition opérée au domicile de ce dernier fit découvrir trois documents cachés dans la bourre d’un fauteuil.
Il s’agissait d’un carnet sur lequel Jacquet inscrivait des dépenses faites pour faciliter les évasions, d’un cahier de notes de Mlle Jacquet et du journal d’un aviateur anglais qui, obligé d’atterrir à Wattignies, avait pu se réfugier à Lille d’où Jacquet et sa fille l’avaient fait sortir te 28 mars 1915.
Cet aviateur était retourné à son poste de combat et était revenu plusieurs fois planer au-dessus de Lille. Le 22 avril, il avait fait tomber sur la ville, enfermée dans une cassette entourée d’un ruban tricolore, une lettre ironique à l’adresse du gouverneur allemand de Lille, Von Heinrich.
Cette raillerie excita la fureur de Von Heinrich qui résolut de s’en venger sur les patriotes lillois. Ceux-ci qui avaient été conduits à Anvers après leur arrestation, furent ramenés à Lille le 9 août 1915. Ils comparurent devant un conseil de guerre, les 16 et 17 septembre.
Lorsqu’on lui demanda s’il avait quelque chose à ajouter pour sa défense, Jacquet dit simplement : « J’ai agi selon la loi de ma conscience, dans la plénitude de mes droits et de mes devoirs de citoyen français. Je ne regrette rien de ce que j’ai fait et je ne crains pas la mort. Je ne demande qu’une
grâce : que la vie de mes compagnons sort épargnée ».
Jacquet, Maertens, Deconinck et Verhulst furent condamnés à mort. Le matin du 22 septembre, ils étaient conduits dans un fossé de la citadelle et fusillés. Refusant de se laisser bander les yeux, ils firent face au peloton d’exécution et moururent en criant : « Vive la France ».
M. Fournier-Sarlovèze, maire de Compiègne tint à ce que le souvenir du patriote Eugène Jacquet fut honoré dans la ville natale de ce héros. II proposa au conseil municipal qui accepta unanimement, de donner le nom d’Eugène Jacquet à la partie de la rue de la Sous-préfecture allant de l’avenue du Moulin à l’avenue Thiers.
Un monument fut élevé à Lille à la mémoire d’Eugène Jacquet et de ses compagnons. A la fin de l’été 1939, M. de Rothschild, alors maire de Compiègne, s’étant rendu à l’Exposition de Lille, avec quelques notabilités compiégnoises, déposa une gerbe devant ce monument rappelant une noble page d’histoire.
Par Jacques Mermet, tiré de “nos rues ont une histoire”