On fait beaucoup de trous à Compiègne; on ne reste pas un moment sans que l’une de nos rues soit percée. L’agrandissement du réseau téléphonique exige l’établissement de nouvelles lignes; les rues Hippolyte Bottier et Le Féron se sont donc encore vues défoncées. La rue Le Féron l’avait déjà été récemment pour la mise en place du tout-à-l’égout puis on y fit un jour un nouveau trou pour quelque autre réalisation.
Ces percements successifs du sol nous remettent en mémoire quelques couplets dédiés à nos édiles… il y a quelques lustres, sur l’air des “Trois Anges de Noël”
Ces trois couplets s’intitulaient :
ON REPAVE COMPIEGNE
I Trois hommes sont venus, un soir
Dans ma rue, pourtant si tranquille.
L’un d’eux, portait un arrosoir
En fer, aux armes de la ville;
Et le deuxième, avait en main
Une pelle, une pioche et deux piques
Quant au troisième, il ne portait rien…
Que… des bottines à élastiques.
II L’premier arracha un pavé,
L’deuxième imita son confrère;
Quant au troisième, les bras croisés.
Tranquillement, il les regardait faire.
Et puis, ramassant leurs outils,
Ils s’en sont allés prendre un verre;
Et tous les gens passant par ici
Dans le trou, se f…ichaient par terre.
III Les trois hommes sont revenu;
Dans ma rue toujours tranquille;
Les trois hommes sont revenus
Rapportant tous leurs ustensile;
Ils ont remis les deux pavés
Et sont repartis prendre un verre…
Et j’suis encore à me demander.
Qu’est-ce qu’ils étaient bien venus faire ?
Et c’était signé : M.L presque notable habitant de la ville…..
En attendant de retrouver une rue accessible, les habitants de la rue Le Féron prendront patience en lisant ici l’histoire d’une des plus anciennes voies de notre ville.
Louis-Joseph-Stanislas Le Féron, qui fut un grand citoyen de Compiègne, appartenait à une très ancienne famille. Un Pierre Le Féron était prévôt de Paris en 1308. Jean Le Féron logea Jeanne d’Arc en son hôtel du Bœuf à Compiègne, en 1429. Depuis, les Le Féron furent toujours mêlés avec honneur à l’histoire de la cité. Jean-Alexandre Le Féron vaillent officier, né à Compiègne le 2 juin 1729, et mort en la même ville le 16 juillet 1785, avait’ épousé Catherine Teyssier de la Forge, dame d’honneur de la reine. De ce mariage naquit, à Versailles, le 15 Août 1757, Stanislas Le Féron. Six jours plus tard, sa mère mourait.
A 20 ans, Stanislas Le Féron entrait au régiment d’Auvergne et s’y distingua. Lorsqu’il revint à Compiègne, il avait le grade de lieutenant colonel. En 1789, il était nommé commandant de la garde nationale de Compiègne, contribuait à créer une compagnie d'”ingénieurs pompiers” et était appelé à faire partie du corps municipal au titre de notable. En août 1790, il proposait la création d’un bureau de charité et, pour procurer du travail aux ouvriers, il présentait en octobre un projet d’établissement d’une manufacture de batiste et de toile de coton. Epris de liberté-, il fondait en mars 1791 la société des Amis de la Constitution. Le 1er avril 1791, il était nommé pour ordre colonel et adjudant général de la 23ème division militaire. Il resta à Compiègne. Tombé malade, il mourait le 2 août 1791, à 34ans, et son décès fut considéré comme un deuil public, tant étaient grands les services qu’il n’avait cessé de rendre à ses concitoyens et à la France. Des funérailles solennelles lui furent faites lors de son inhumation au cimetière de Clamart.
On croit également que c’est son nom qui est actuellement porté par la rue qui s’appela en 1430 rue de l’Hôtel de la Vache, puis au XVIème siècle, rue d’Aurigny, d’Avergny ou d’Avrigny, et enfin rue d’Enfer. Pas du tout ! Si le nom de Stanislas Le Féron fut donné à la rue d’Enfer en 1791, il lui fut retiré par la Restauration et la rue reprit son nom d’Enfer. En décembre 1869, le conseil municipal décidait de rendre à cette voie le nom de Stanislas Le Féron, mais cette délibération ne fut pas suivie d’effet.
Le nom de Le Féron lui fut bien l’hôtel d’Artois au Cercle donné par décision municipale Compiégnois qui venait de se du 5 juillet 1883, mais ce n’était lus en mémoire du grand citoyen que l’on avait surnommé le La Fayette Compiégnois, mais d’un de ses cousins, M. Louis-François-Gustave Le Féron de Ville, décédé le 20 janvier 1880, après avoir légué 175.000 F aux hospices.
A l’angle de la rue Le Féron et de la rue des Papillons (Pierre Sauvage) se trouvait l’hôtel Saint-Sébastien qui portait pour enseigne l’image du patron des Archers. Il fut acquis en 1742 par l’Abbaye St Corneille. Cette abbaye possédait également la maison portant aujourd’hui le n° 20. Elle y logeait ses hôtes de passage. Cet immeuble fut acquis le 28 mai 1791 par Stanislas Le Féron qui l’habitait. C’est dans cette maison que mourut le 30 mars 1879, M. Jean-Louis Aubrelicque, ancien maire de Compiègne et ancien sénateur de l’Oise.
Fils d’un receveur d’enregistrement de Compiègne, M.Aubrelicque fut receveur
d’enregistrement à Attichy, puis à Ribécourt, et vérificateur de l’enregistrement à Compiègne. Entré au conseil municipal et au conseil d’arrondissement, en 1860, il devint maire de Compiègne en 1872, conseiller généra! la même année et Sénateur en janvier 1876. Il avait abandonné la vie publique en 1878, pour raisons de santé. Au n° 18 se trouvait l’hôtel de la Maison du Roi qui servait à loger des invités suivant la Cour à Compiègne.
L’ancien hôtel d’Artois construit vers 1760, occupait le N° 16 actuel. Le comte d’Artois futur Charles X y logeait son capitaine les chasses. Le 23 nivôse an IX cet immeuble fut vendu à François Dupêcher, menuisier et limonadier et à son épouse Françoise Angélique Lefèvre.
Dans l’acte de vente, l’immeuble était ainsi désigné : “Maison située à Compiègne, occupée ci-devant par l’écuyer de l’émigré Dartois”.
Pendant le bombardement du 1er avril 1814, l’hôtel d’Artois reçut cinq boulets et deux obus qui causèrent d’importants dégâts.
En janvier 1831, l’hôtel qui portait alors le n° 593, fut vendu par Dupêcher à Nicolas Clausse. Il se trouvait ainsi décrit dans l’annonce de mise en vente : “Grande porte cochère faisant face à la rue Saint-Louis; grande cour, deux ailes de bâtiments à droite et à gauche, principal corps de bâtiment entre cour et jardin; les appartements sont garnis de lambris de hauteur et d’appui; parquets, armoires, cheminées de marbre, tableaux dessus de chasse et autres, portes représentant divers sujets, et autres; . toutes les portes sont à deux vantaux. Très beau jardin avec sortie sur la rue réputée ruelle, terrasse plantée de tilleuls. Deuxième cour aussi avec porte cochère où sont trois remises, trois écuries, grenier avec pompe en cuivre et plomb et porte de sortie sur la même rue-ruelle. Sept grande caves”.
Le 1 septembre 1839, la veuve Clausse qui dirigeait la maison d’éducation de Biienville loua l’hôtel d’Artois au Cercle compiégnois qui venait de se créer sous la direction de MM. Sorel et Pottier, juges, Rivière et Sauvage, Entrepreneurs, Manin, avoué, Billotte, ancien notaire,Oudin, fournisseur de fourrage . Le rez-de-chaussée était affecté aux joueurs de cartes ou de dominos, il était interdit d’y fumer, les fumeurs n’étaient admis qu’au premier étage. Le 25 mars 1840, l’immeuble fut vendu par Mme Clausse à Mme Lévêque de Champeaux. Par suite de cette vente le Cercle Compiégnois dut quitter ce local pour s’installer dans une maison occupée plus tard par le sénateur Chovet. Le Cercle se transporta ensuite au premier étage du café Chapuis (Café du Commerce). Le 20 octobre 1860, l’hôtel fut acquis par Hippolyte Bottier qui y mourut le 8 novembre 1856. C’est à l’ancien hôtel d’Artois que s’installa la Maison des Œuvres Sociales créée grâce aux libéralités de M. et Mme Fournier Sarlovèze père et mère de l’ancien maire de Compiègne. Cette maison des œuvres sociales fut inauguré par M. Paul Stauss, ministre du travail et de l’hygiène. La maison suivante (n° 14) appartient à M. Esmangart de Beauval; au n° 12 était un immeuble qui fut donné au commencement du XVIIIème siècle par Jacques Fauvel, Louis Coustant, bonnetier, Elisabeth et Marie-Barbe Coustant.
Par Jacques Mermet, tiré de “nos rues ont une histoire”