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Texte d’Eric Georgin, agrégé de l’Université,
Vice-président de la Société historique de Compiègne.
 
Deux Tsars se sont rendus à Compiègne: Alexandre Ier et Nicolas II. Si le séjour de Nicolas II est bien connu, puisqu’il a fait l’objet d’une exposition au Palais, et d’un riche catalogue, celui d’Alexandre Ier n’a jamais été étudié.
De fait, le Tsar ne resta qu’un après-midi dans notre ville, et repartit furieux le soir même. Vainqueur de Napoléon, Alexandre a été accueilli en libérateur à son entrée à Paris à la tête des troupes de la Sixième coalition, le 31 mars 1814. C’est d’ailleurs aux cris de “Vive l’Empereur Alexandre, vive le pacificateur de l’Europe”, qu’il est acclamé par les Compiègnois à quatre heures du soir le dimanche 1 mai 1814.

Mais l’accueil que lui réserve Louis XVIII est des plus humiliants. Il découvre la modeste chambre qu’on lui destine au terme d’un véritable voyage à travers des corridors et des escaliers dérobés, et au moment du souper, un seul fauteuil étaitplacé à la table, et c’était celui du roi Louis XVIII. Pourquoi ces humiliations ? Louis XVIII entendait signifier au Tsar qu’il ne serait pas l’otage des coalisés, et qu’il n’entendait pas entrer à Paris « dans les fourgons de l’étranger ». Il s’opposait par ailleurs à toute ingérence des Russes dans les affaires intérieures de la France, le Tsar souhaitant alors que Louis XVIII adopte une constitution limitant ses pouvoirs. Roi de France et de Navarre depuis la mort du petit Louis XVII en juin 1795, Louis XVIII refusait la couronne que lui tendaient Talleyrand, le Tsar, et un sénat impérial bien plus soucieux de ses propres intérêts matériels que de ceux du peuple français. Le frère de Louis XVI serait roi par la grâce de Dieu, et non pas le premier fonctionnaire de l’État d’une « démocratie royale » incompatible avec la tradition de la monarchie française.

Voyons ce qu’en dit la comtesse de Boigne

« [Le Tsar] partit pour faire visite à Louis XVIII, avec l’intention de passer vingt-quatre heures à Compiègne
. Il y fut reçu avec une froide étiquette. Le Roi avait recherché, dans sa vaste mémoire, les traditions de ce qui se passait dans les entrevues des souverains étrangers avec les rois de France, pour y être fidèle.
L’Empereur, ne trouvant ni abandon ni cordialité, au lieu de rester à causer en famille comme il le comptait, demanda au bout de peu d’instants à se retirer dans ses appartements. On lui en fit traverser trois ou quatre magnifiquement meublés et faisant partie du plain-pied du château. On les lui désignait comme destinés à Monsieur, à monsieur le duc d’Angoulême, à monsieur le duc de Berry, tous absents; puis, lui faisant faire un véritable voyage à travers des corridors et des escaliers dérobés, on s’arrêta à une petite porte qui donnait entrée dans un logement fort modeste: c’était celui du gouverneur du château, tout à fait en dehors des grands appartements. On le lui avait destiné.Pozzo, qui suivait son impérial maître, était au supplice; il voyait à chaque tournant de corridor augmenter son juste mécontentement. Toutefois, l’Empereur ne fit aucune réflexion, seulement il dit d’un ton bref: “Je retournerai ce soir à Paris; que mes voitures soient prêtes en sortant de table”. Pozzo parvint à amener la conversation sur ce singulier logement et à l’attribuer à l’impotence du roi. L’Empereur reprit que madame la duchesse d’Angoulême avait assez l’air d’une House-keeper pour pouvoir s’en occuper. Cette petite malice, que Pozzo fit valoir, le dérida et il reprit la route du salon un peu moins mécontent; mais le dîner ne répara pas le tort du logement.
Lorsqu’on avertit le Roi qu’il était servi, il dit à l’Empereur de donner la main à sa nièce et passa devant de ce pas dandinant et si lent que la goutte lui imposait. Arrivé dans la salle à manger, un seul fauteuil était placé à la table, c’était celui du Roi. Il se fit servir le premier; tous les honneurs lui furent rendus avec affectation et il ne distingua l’Empereur qu’en le traitant avec une espèce de familiarité, de bonté paternelle. L’empereur Alexandre la qualifia lui-même en disant qu’il avait l’attitude de Louis XIV recevant à Versailles Philippe V, s’il avait été expulsé d’Espagne.
A peine le dîner fini, l’Empereur se jeta dans sa voiture. Il y était seul avec Pozzo; il garda longtemps le silence, puis parla d’autre chose puis enfin s’expliqua avec amertume sur cette étrange réception. Il n’avait été aucunement question d’affaires, et pas un mot de remerciement ou de confiance n’était sorti des lèvres du Roi ni de celles de Madame. Il n’avait pas même recueilli une phrase d’obligeance. Aussi, dès lors, les rapports d’affection auxquels il était disposé furent rompus. »

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