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La statue de Jeanne d’Arc en 1900

Pour réaliser le plan de circulation des années 70, il a fallu aménager la place de l’Hôtel-de-Ville. Le déplacement de la statue de Jeanne d’Arc s’est révélé nécessaire et son démontage a donné lieu à la découverte des plaques de plomb fixées dans le socle lors de l’inauguration en 1880, puis de la surélévation de la statue en 1895.
M. Pierre Coquerel, premier adjoint et président de la commission de la voirie, a patiemment gratté ces plaques pour les rendre lisibles ; celles-ci ont d’ailleurs été replacées la semaine dernière à leur place dans le socle.
Rappelons comment Jeanne se trouva ainsi dressée sur notre place de l’Hôtel-de-Ville.

Depuis longtemps, les habitants de notre ville avaient le désir d’élever un monument à l’héroïne qui avait combattu pour sauver leurs ancêtres et leur avait porté tant de dévouement que captive au château de Beauvoir, elle s’écriait, la pensée sans cesse occupée de ses chers assiégés. « Comment laissera Dieu mourir ces bonnes gens de Compiègne qui ont été et sont si loyaux à leur seigneur ?»                                     –
M. Escuyer dans son « Histoire de Compiègne » voyait une statue équestre de Jeanne sur les arches de l’ancien pont : « Là, disait-il d’une main étendue vers la ville, elle semblerait engager ses soldats à rentrer, tandis que, de l’autre, elle repousserait encore l’ennemi dont elle est déjà entourée ».
Dans l’Histoire du Palais de Compiègne, publiée en 1862 par Pelassy de l’Ousle, il est dit que l’empereur Napoléon III avait eu le projet de doter Compiègne d’une statue en marbre de la jeune inspirée. Enfin, dans la séance du 18 janvier 1877, M. Bottier, alors président de la Société Historique, prononçait une allocution chaleureuse où, rappelant les grands souvenirs laissés en ce pays par la vierge de Donrémy, il s’écriait :
« La ville de Compiègne ne fera donc qu’acquitter une dette d’admiration et de reconnaissance en élevant une statue à Jeanne d’Arc qui l’aimait bien cette ville! Pourrait-on en douter ? La chronique a conservé ces paroles de la bergère de Domrémy : « J’iray voir mes bons amys de Compiègne ». Voilà l’inscription qu’on devra graver en lettres d’or sur le piédestal du monument. La statue de Jeanne d’Arc attestera sans doute nos malheurs, mais elle attestera en même temps sa gloire qu’ils n’auront servi qu’à rehausser etennoblir. La ville de Compiègne par une manifestation éclatante, quoique tardive, en honorant les uns, en conservant l’autre, en les revendiquant ainsi comme une sorte de patrimoine sacré, en se les appropriant, en s’identifiant avec eux, fera acte de patriotisme, de justice et de gratitude. On ne pourra donc passer devant l’image de la grande héroïne sans se sentir impressionné, sans en être fier » .

La statue de Jeanne d’Arc de nos jours

Le 20 mars 1880, l’endroit où devait être érigée la statue de Jeanne d’Arc semblait définitivement arrêté ; elle serait placée à l’entrée du Cours, à la tête du pont, semblant protéger l’entrée de la ville. On ne pouvait faire choix d’un emplacement plus heureux et qui rappelât d’une façon plus satisfaisante l’épisode de notre histoire locale que le monument est destiné à consacrer.
L’emplacement où s’élèverait la statue de l’héroïne souleva quelques controverses :
Un riverain du cours Guynemer n’approuvait pas ce choix à l’entrée du pont :
«La vaillante héroïne, écrivait-il, succomba, les armes à la main, non dans Compiègne, mais sous les murs de cette ville, sur la rive droite de l’Oise, vers l’extrémité de la place du Marché-aux-Fourrages, en vue de la grosse tour, malheureusement à demi-écroulée aujourd’hui. (Cette lettre était datée du 26 mars 1880 !)
Au point de vue historique, la statue devrait donc être érigée sur cette dernière place. Et puis, ajoutait-il, si l’on envisage la question sous le rapport de l’embellissement de la ville, l’on arrive à reconnaître que l’exiguïté de l’entrée du cours ne permettrait point d’entourer le monument d’un square ; de sorte que la figure de l’héroïne se trouverait isolée et n’ornerait que bien imparfaitement l’entrée de la ville.
On objectera peut-être que cette nouvelle disposition de la place aux Fourrages nuirait à la vente des cochons et des foins qui s’y tient chaque semaine. Les fourrages peuvent continuer à se vendre sur l’autre extrémité de la place ; quant aux compagnons de Saint-Antoine, il est facile de leur donner asile sur la place du Marché-aux-Chevaux où, du reste, ils ont l’habitude de s’installer largement tous les Quinze Jours, etc.» Signé: un riverain du cours qui par conséquent ne plaide pas : Pro Domo.
Un habitant de la place aux Fourrages répondit à ces arguments :
« Pour plusieurs motifs, l’emplacement du marché aux Fourrages n’est pas convenable : il est du simple bon sens et d’usage qu’un chef d’armée principalement en campagne doit toujours faire face à l’ennemi ; alors si vous placez cette héroïne face à la plaine de Venette, où était l’armée envahissante, Jeanne d’Arc sera obligée de tourner le dos au public entrant à Compiègne ; si vous la tournez face à la ville,, elle tournera le dos à l’ennemi, ce qui est complètement contraire aux règles de l’art militaire. En outre, cet habitant du cours n’a pas songé aux quolibets plus ou moins mal sonnants qui ne manqueraient pas de s’adresser aux habitants de Compiègne si on plaçait cette gloire nationale à la place des cochons. On ne nous épargnerait peut-être pas un calembour sur le nom de l’évêque Cauchon de Beauvais ».
Il  y  avait lieu de réfléchir sérieusement pour faire choix d’un emplacement convenable. Jeanne est dans l’attitude du combat ; elle s’élance à la tête de ses gens, lève son étendard et semble leur dire : « Suivez-moi, voici l’ennemi ». C’est bien du reste ce qu’avait voulu rendre le sculpteur qui citait à l’appui de l’attitude qu’il a donnée à la statue, ces mots de Jeanne, tirés de Michaud et Poujoulat :
« Je disois aux gens d’armes du Boy : entrez hardiment parmy les anglois et j’y entrois moi mesme à leur teste. »

Les habitants du cours et ceux de la place aux Fourrages discutèrent ainsi longuement. Ceux de la place gémissaient qu’il faudrait supprimer un marché, supprimer la fontaine, que cela rétrécirait la longueur de la place, etc.
Ceux du cours rétorquaient que les arbres récemment plantés grandiraient et que cela cacherait la statue aux regards des arrivants.
Mais le dimanche 11 juillet, Etienne Leroux, auteur de la statue, vint à Compiègne ; entendu par la commission du monument qui s’était réunie à l’hôtel de ville sous la présidence de M. Chovet, il se prononça en faveur de la place de l’Hôtel-de-Ville pour l’emplacement à donner à son œuvre, n soumît également au conseil municipal un projet de piédestal dont l’exécution serait laissée aux soins de la ville.
L’exécution de ce piédestal fut confiée à M. Lequin, entrepreneur de maçonnerie, rue Saint-Joseph/ Il devait être la reproduction presque complète de la statue de la place de l’Institut à Paris
La statue arriva à Compiègne le lundi 4 octobre dans une grande caisse en bois ; des drapeaux avaient été placés aux quatre angles et un superbe bouquet attaché au milieu ; le maître Emile Leroux avait accompagné son œuvre et jugeant que le bronzage était trop sombre fit procéder à un bronzage plus clair. La pose de la statue sur le piédestal eut lieu le mercredi 6 ; M. Barbereau, jardinier en chef du château, fut chargé de la décoration des abords de la statue pour la fête. Un poète anonyme et compiégnois déposa le sixtain suivant :
 
« Le jour est venu
Où chacun a reconnu
Que   Jeanne   d’Arc et Napoléon premier
Ont fait trembler l’univers entier.
A vous, nouvelles générations
De protéger  notre  nation ».

Les fêtes d’inauguration se déroulèrent les 9, 10 et 11 octobre 1880. Il y eut une retraite aux flambeaux le samedi soir ; le dimanche 10, la fête fut annoncée par la cloche du beffroi ; les corporations ouvrières, les sociétés diverses se rendirent bannières déployées sur la place de l’Hôtel-de-Ville. A deux heures, ce fut 1’inauguration. Elle eut lieu sous la présidence de M. Sadi Carnot, ministre des Travaux Publics. Ce fut une heureuse inspiration du gouvernement que de déléguer, pour le représenter à Compiègne, le petit-fils de l’organisateur de la victoire. Il appartenait au descendant de celui qui en 1793 rejeta l’ennemi de notre territoire de célébrer l’héroïne qui, trois siècles auparavant, avait nettoyé notre sol des étrangers.
Il paraît qu’un incident se passa lorsqu’on découvrit la statue. Voici ce que relatait le correspondant de « La Presse ». « Quand on a voulu, dit-il, faire tomber le voile qui recouvrait la statue, on n’y est parvenu qu’avec de grandes difficultés, ce qui fit dire à un grave fonctionnaire : « Cela n’a rien d’étonnant ; une pucelle résiste quand on veut la découvrir. »
Nous donnons le mot et l’incident pour ce qu’ils valent et laissons à notre confrère de l’époque (disparu et pardonné depuis!) la responsabilité de cette anecdote.
Le soir, un banquet fut servi à l’hôtel de ville aux personnalités présentes, puis une fête vénitienne eut lieu sur les bords de l’Oise et un bouquet d’artifice sur l’eau. Enfin, un grand bal gratuit fut donné sur l’emplacement du Jeu de paume.
Le lundi, il y eut une ascension en ballon par M. Perron, président de l’Académie d’aérostation météorologique et par plusieurs aéronautes ; sur les avenues, des courses de vélocipèdes et autres jeux ; le soir, un feu d’artifice à l’entrée des avenues.
Par Jacques Mermet, tiré de “nos rues ont une histoire”

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